Mode cognitif

La lecture

Une lettre Braille est l’équivalent tactile d’une lettre ordinaire. Elle est composé de 6 ou 8 points (une cellule), pouvant chacun comporter ou non une bosse.

Cellules braille
Cellules braille

La découverte du texte

Le doigt lit et découvre lettre par lettre, sans pouvoir anticiper sur la suite ni garder en vue ce qu’il a déjà lu. Comme si le texte défilait sur un panneau lumineux mais lettre par lettre !

Braille défilant


Ce qui se serait l’équivalent de :

Braille latin défilant
  • L’impossibilité d’anticipation visuelle rend ardue une première lecture à haute voix avec le ton juste
  • En grammaire, les marques du pluriel, les accords sujet/verbe, nom/adjectif, etc… (celles qu’on indique parfois avec des flèches ou des couleurs,) ne sont pas visibles en même temps.

La navigation dans un document

La lecture lettre à lettre (en réalité quelques lettres par quelques lettres) empêche :

  • d’avoir d’emblée conscience de la structure du document
  • de lire en diagonale, de lire sélectivement, de repérer directement ce que l’on cherche
  • de photographier un endroit du texte pour y revenir facilement ensuite
    Le braille transcrit tout en linéaire : tableaux, formules mathématiques avec fractions… Il est uniforme et d’une seule taille.
  • Les informations écrites se retrouvent toutes à égalité d’importance.
  • Les éléments graphiques qui facilitent la lecture disparaissent :
    • couleurs, encadrés, italique, gras, surlignage…
    • organisation en éléments (pavés) variés (tableaux, illustrations, encadrés… dans l’espace de la feuille.

La plupart des documents scolaires sont incompréhensibles en l’état pour un brailliste. Transcrire en braille, c’est aussi adapter, épurer les documents, n’en garder que l’essentiel, présenter les difficultés les unes après les autres… Seuls les textes déjà linéaires, comme les romans, peuvent se transcrire simplement, à partir d’un logiciel automatique.

Les schémas en relief

Dans un schéma en relief, ce que l’élève découvre ne dépasse pas le champ de ses doigts. Il voit détail par détail, comme autant de pièces d’un puzzle qu’il doit mentalement reconstituer alors que :

  • les pièces disparaissent au fur et à mesure, il n’en voit qu’une à la fois
  • le tout qu’il doit imaginer, il ne l’a jamais vu, ni vu l’équivalent.

L’effort de reconstitution mentale réclame une concentration et une énergie cognitive considérables.

Lire en relief, c’est aller du détail au global, alors qu’apprendre une leçon consiste à appréhender d’abord la structure d’ensemble, le plan, avant d’entrer dans le détail.

L’écriture

On écrit avec les mains, et on lit avec les yeux, en même temps qu’on écrit. En braille, on lit et on écrit avec les doigts. Impossible de lire au fur et à mesure qu’on écrit, l’opération se fait en étapes séquentielles.

  • L’ajustement en temps réel, le feed-back immédiat qui agit comme un correcteur automatique en nous empêchant d’écrire des fautes qui « saute aux yeux », ne fonctionne pas
  • On peut commettre des fautes de frappe

Au début, les élèves braillistes, peu sûrs d’eux et travaillant sur machine à écrire mécanique (ne permettant pas les corrections), ont tendance à écrire une lettre, la lire, écrire la suivante, la lire, etc… Même plus tard, même en travaillant sur ordinateur, ils sont contraints à ces mouvements de va-et-vient lecture/écriture.

Le vécu

Les connaissances et l’expérience d’un jeune aveugle sont moindres, sa perception du monde différente

  • Un avion = Un long couloir rempli de fauteuils en haut d’un escalier en plein vent [[rapporté par F. Martinez-Sarochi, psychologue-chercheur au CNRS]]. Et rien d’autre (pas l’image visuelle qui s’impose inévitablement à ceux qui en ont déjà vu un, même en photo ou dessiné).
  • L’enfant aveugle-né reste souvent en marge des loisirs communautaires ou de quartier et même de plusieurs activités familiales. Le nombre et la variété de ses expériences de vie sont moindres.
  • Sans voir, comment savoir qu’un moustique marche au plafond les pattes en l’air ? Qu’un cochon est plus petit qu’une vache ? Qu’au foot l’arbitre est sur le terrain alors qu’au tennis il est en dehors, sur une chaise haute ? Qu’il y a de fausses personnes appelées « mannequins », dans les vitrines de vêtements ?…

Pour inciter l’élève à participer oralement sans craindre les moqueries, on peut expliquer ses « maladresses de compréhension » aux camarades.

La compréhension

Face au manuel scolaire ou au polycopié, l’élève aveugle a 2 handicaps par rapport au reste de la classe :

  • il lui manque les images et éléments graphiques
    (ou il n’en a qu’une version tactile, sommaire et complexe à décoder)
  • il lui manque les images mentales, les évocations personnelles

Comprendre (cum-prehendere=prendre avec soi), c’est évoquer, faire exister mentalement les mots, les situations, en faisant des associations avec ce que l’on connait déjà.

Connaître déjà, pour celui qui n’a jamais vu, c’est avoir touché ou expérimenté, et s’en souvenir même s’il n’a fait l’expérience qu’une seule fois (et pas forcément, au moment de cette expérience, avec l’objectif de se souvenir !).

Le fait que l’élève aveugle utilise des mots et des concepts dans son langage courant ne signifie pas pour autant qu’il en a une représentation conforme à la réalité. Il est utile de vérifier sa compréhension juste.

L’imaginaire

L’accès à l’imaginaire est difficile, voire impossible Quand on ne voit pas, c’est avant tout sur la parole (ou les écrits) des voyants que repose la connaissance.

  • Spontanément, dans ses lectures, l’élève peut s’attacher à ces détails, qui lui expliquent le monde, plus qu’à l’histoire elle-même. Quand on ne voit pas, on doit faire confiance, sans toujours pouvoir trier seul le vrai du faux.
  • Cette soif impérieuse de compréhension du réel retarde l’accès à l’imaginaire, voire entraîne son rejet. Privés des déclencheurs que constituent les stimulis visuels, les élèves aveugles de naissance ont une grande difficulté à se créer un monde imaginaire

Le mode d’apprentissage

Chacun a un mode de prédilection pour apprendre : visuel, auditif, ou kinesthésique.
Même si, par la force des choses, un élève aveugle doit apprendre à s’appuyer au maximum sur ce qu’il entend et à mémoriser sans autre support, il peut rester plutôt kinesthésique, ou visuel ! Quand il lit en braille, c’est son cortex visuel qui s’active [voir neurosciences].

L’équivalent d’un élève voyant qui mémorise mieux en photographiant mentalement un texte sur son livre ou au tableau n’est pas un élève aveugle entendant une voix le lui lire, mais un élève aveugle lisant tactilement.

La lecture audio ne peut pas remplacer la lecture en braille.

Par ailleurs, le braille embossé sur papier fournit des repères spatiaux dans l’espace de la feuille ou du livre ; il est plus riche en informations « visuelles » que le braille informatique, qui se lit sur une seule ligne déroulante.

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