Questions incontournables

En préparant la séance d’octobre 2009, avec des rôlistes volontaires parisiens, nous nous sommes rendu compte qu’il était utile de revenir sur un certain nombre de petites questions. Pour nous, habitués du handicap visuel, et même du jeux de rôles avec des personnes souffrant d’une déficience visuelle, tout cela est évident. Cette page sera donc intéressante pour les voyants n’ayant jamais rencontré de non-voyant (par exemple), et les non-voyants ayant encore des questions sur le Jeux de Rôles.

Questions classiques

Les questions classiques d’un voyant approchant un non-voyant

  • « Comment un non-voyant de naissance peut-il imaginer les couleurs ? »
  • « Comment un non-voyant de naissance peut-il rêver ? »
  • « Est-il vrai que, comme dans les films d’action, un aveugle peut percevoir l’aura des autres? Et des arbres, des poissons, des murs ? Et qu’il peut faire des bonds de branches en branches ? »

Bon, c’est le genre de questions qui peuvent agacer prodigieusement les non-voyants ou leurs proches. Ces questions récurrentes sont totalement à côté de la plaque par rapport à la réalité.
À ceux qui souhaiteraient faire du jdr avec des non-voyants, il est déconseillé de commencer par poser ce genre de questions qui, en plus, n’apportent rien à la future séance de jeu de rôles. Les joueurs, voyants ou non-voyants, préfèrent souvent qu’on leur parle, plutôt que l’on parle d’eux.

Décrire

« Comment décrire l’histoire, les lieux, les événements, les personnages, à des joueurs non-voyants de naissance ? » se demande le Meneur de Jeu voyant.

« Mais alors, comment je fais, pour les couleurs ? »
Si, autour de la table, il y a des non-voyants de naissance, pensez bien que, depuis la naissance, ils n’ont cessé de questionner leur entourage sur ce truc bizarre qu’est la vue et les couleurs. Depuis le temps… ils se sont fait une idée.
En réalité, ils se passent très bien de ne pas connaître les couleurs : ça ne leur manque pas, ils n’en ont jamais connues. L’intérêt principal, pour eux, est de s’intégrer le plus possible. En sachant que l’herbe est verte, que le sang est rouge, et pas l’inverse. En sachant correctement les expressions comme « être rouge comme une tomate ». Et en sachant à quoi telle ou telle couleur est culturellement associée, comme le noir est associé à la nuit ou à la mort.
Dans le cadre d’une séance de jeu de rôles, le MJ dit par exemple « Un elfe approche de vous. Il vous regarde avec intérêt. Ses cheveux sont longs et argentés. Il a une boucle d’oreille. Il porte des vêtements riches, et surtout une veste longue verte qui pend à quelques centimètres du sol. »
Le joueur non-voyant percevra, à sa façon, sans doute tout. Pour les couleurs, il enregistrera simplement les informations. Et si plus tard, une veste longue verte recroise le chemin des joueurs, ou même simplement des bouts de tissus verts, il sera en mesure de faire un rapprochement avec l’elfe qui s’intéressait à eux : comme un autre joueur.

« Mais ils ne se rendent pas compte de la taille d’une cathédrale !… Et puis il y a les couleurs ! »
Le MJ, en tant que conteur arbitre se doit de présenter l’environnement et les événements. Le terme qui vient tout de suite, c’est qu’il «décrit». Mais il n’est pas obligé de décrire chaque détail. Il est même souvent conseillé d’évoquer plutôt que de montrer.
Ainsi, si avec 4 joueurs voyants adultes (la situation classique, et en plus ce sont des hommes), le MJ dit «vous voyez une belle femme rousse toute nue s’approcher fièrement de vous», les 4 joueurs vont s’imaginer chacun une femme différente, mais elle sera forcément rousse, approchant, et fière. Après, faut-il en dire plus dans la description, pour être sûr que chacun voit exactement la même ?
De même avec des joueurs non-voyants, si le MJ dit «vous chevauchez à cheval pendant 4 jours dans la plaine», les non-voyants qui ont déjà fait de l’âne, du poney, du cheval, vont avoir chacun une idée en tête (avec des sensations, odeur etc, plus qu’une vraie image, c’est vrai). Est-ce que ce sera exactement les sensations d’une journée à cheval ? Peut-être pas, mais le MJ lui-même, connaît-il toute les races de chevaux et leur description ? Connaît-il la sensation d’une journée de cheval ? Cela manque-t-il réellement de ne pas l’avoir et de ne pas pouvoir la transmettre ?
Non, non, et non. Le MJ évoque souvent plus qu’il ne montre, et il serait souvent bien en peine de montrer, de décrire, davantage. Et il y a beaucoup de joueurs voyants qui se contentent de se faire leur petite idée, sans se soucier d’aller vérifier ; pour notre exemple, aller réellement faire de l’équitation, pour être sûr d’être dans le vrai.
Et il ne faut pas oublier que certains joueurs sont parfois peu intéressés par la description, ils aiment l’information brute : une nuée de gobelins lui tombe dessus etc… peu importe la description des gobelins, il est stressé, il a peur, puis avec un peu de chance, il est content de vaincre (et de se défouler bestialement). Dans les 1ers jeux vidéo, les personnages étaient de simples points en mouvement, et pourtant les gens s’amusaient !


« Mais alors, ils n’ont jamais vu la neige. Dois-je leur dire qu’ils entendent marcher dans la neige, ou dois-je décrire les bruits éloignés que feraient des gens marchant dans la neige? »Si le MJ dit «un ballon de foot effleure la tête du PJ, comme un boulet de canon». Si le joueur est voyant, il VERRA un ballon passer comme une balle près de lui, et il comprendra qu’il vient d’échapper à une blessure et qu’il y a peut-être du danger et un ennemi. Si le joueur est non-voyant, il imaginera peut-être le mouvement d’air, le son frôlant son oreille et l’ombre fugitive sur le visage, et il comprendra qu’il vient d’échapper à une blessure et qu’il y a peut-être du danger et un ennemi.
Dans les 2 cas, si le joueur perçoit mal ce que décrit le MJ, il peut le questionner. Mais dans les 2 cas, il aura sa façon de percevoir le récit, et de comprendre le danger.
Il ne faut donc pas s’embarquer dans le sens inverse. Par exemple que le MJ dise «tu sens un mouvement d’air sur ta joue, le bruit d’une balle aux oreilles, une ombre frôlant ton visage», en espérant que le joueur non-voyant comprenne de quoi il s’agit… Ou alors, le MJ est lui-même non-voyant, et il trouvera la description exacte. Mais MJ voyant ou non-voyant, si la description se cramponne à ce que peuvent vivre les joueurs non-voyants, cela implique que le PJ n’a pas plus de moyen de perception que le joueur : que le personnage est aveugle lui aussi (bonjour la merde pour se battre à l’épée, fouiller un appartement, etc…). Souvent les joueurs (voyants ou non) cherchent à vivre des trucs hors du commun, ou hors de leur quotidien, voire des aventures épiques et fantastiques. Il serait surprenant qu’un joueur non-voyant échappe à la règle.
En tout cas, aucun joueur non-voyant, depuis que j’en fais jouer, ou que j’ai des retours de séances, n’a fait la demande d’avoir un PJ aveugle, ou du moins d’avoir un récit reprenant des sensations de non-voyant.
Faire jouer des personnages aveugles à des vrais aveugles : c’est 0/20 en dépaysement, 0/20 en ludisme, et 0/20 en apport éducatif (vocabulaire nouveau, situation nouvelle impliquant de trouver des solutions nouvelles et un travail d’équipe, etc…).

Voir ?

De l’utilisation du verbe VOIR
Voilà, moi, quand je me suis programmé ma 1ère séance avec des non-voyants, à Auxerre, je me suis aperçu que j’utilisais en permanence le verbe VOIR à toute les sauces, dans des expressions et avec des sens très différents. Je me suis alors fait des nœuds au cerveau : allaient-ils comprendre tout ces «voir» différents ? Devrais-je me surveiller en permanence pour éviter ce mot ? Allais-je en permanence agacer les joueurs en utilisant involontairement ce verbe ? Et bien : NON. Aucun problème. Ils ont l’habitude d’utiliser ou d’entendre ce verbe autant que quiconque.

Interlocuteur

De bien s’adresser à vos joueurs non-voyants
Si par exemple un certain joueur non-voyant prénommé Jérémie a fait un personnage nommé «Dione» et que ce dernier a été transformé par une sorcière en chat roux, avec peut-être toute sa bande de copains.
Le MJ, lors d’une quelconque interaction, s’adresse à ce joueur en se tournant vers lui : «Et toi, que fais-tu ?» (en pointant machinalement son stylo vers lui, en plus de son regard). Si la configuration des joueurs autour de la table le permet, le joueur devinera peut-être, par rapport à la direction de la voix, que c’est à lui que le MJ s’adresse. Mais bon, ce n’est pas gagné, et pas confortable.
Il vaut bien mieux dire «Et toi, Jérémie, que fais-tu ?» ou «Et du coup, que fait Dione le chat ?» (pour être plus immersif).

Vocabulaire

Du vocabulaire nouveau, comme d’habitude, mais…
Faites attention aussi au fait que si vous parlez d’objets qu’ils ne connaissent pas, ou pas bien, ou sans savoir le nom exact, vous ne pourrez pas, comme avec les voyants (qui ont le même problème), sortir l’illustration du livre de Jeu de Rôles. Personnellement, je me souviens surtout de la fameuse « Morgenstern », que je ne connaissais pas réellement avant de jouer à D&D, ou à la nuance entre l’épée longue, l’épée bâtarde et l’épée à 2 mains… Il vous faudra peut-être un peu de temps pour décrire des trucs, qu’avec des voyants vous n’auriez pas eu besoin de décrire. Des catalogues d’objets, un descriptif de l’univers (etc.) peuvent être élaborés de façon accessible (cf page JdR avec des enfants non-voyants), et être passés pour être consultés entre les séances. Le Jeu de Rôles amateur Microlite20 dispose d’une version accessible qui contient une longue description des armes et armures. Nous pouvons vous la fournir si vous le souhaitez. Mais durant les séances, il n’y a pas beaucoup d’autres moyens que de décrire clairement les illustrations.

Supports

Exemple de supports accessibles consultables entre les séances
Les documents informatiques textes peuvent être facilement accessibles, surtout s’ils contiennent des titres renseignés comme style ou format titre. Ainsi le système de synthèse vocal peut facilement passer de définitions en définitions, de chapitre en chapitre. Et cela d’autant plus vite si le document commence par une table des matières, qui permet par des liens hypertexte d’aller du nom du chapitre, directement au chapitre en question. Les rôlistes voyants utilisent énormément des tableaux synthétiques qui concentrent facilement une grande quantité d’informations. Ces informations sont très rarement répétées ensuite dans le texte. Or les non-voyants accèdent difficilement au contenu des tableaux : ils n’ont pas facilement le titre de la colonne ou de la ligne de la case qu’ils consultent. Il faut donc retranscrire les tableaux en formulation phrasée texte ou, mieux, renseigner le contenu des cases (exemple : au lieu de «+3, 1d6+3» mettre «Bonus total à l’attaque +3, dégâts 1d6+3»).
« L’AJA Jeux de Rôles » travaille sur la réalisation de tels supports pour le matériel typique des univers médiévaux-fantastique (Microlite20). Une fois terminés, ces supports pourront être mis à disposition.
Notez bien que d’autres moyens que le fichier texte sont envisageables.

Intérêts

Des intérêts supplémentaires du jeu de rôles pour les enfants non-voyants

  1. Les enfants aveugles de naissance peuvent ne pas se rendre compte de choses de la réalité « évidentes », car ils ne l’ont jamais vue, justement… Et comme c’est évident, même leurs proches peuvent ne pas avoir pensé à leur préciser. En jouant, en inventant des histoires à plusieurs, on peut par hasard mettre au jour des incompréhensions. Comme il s’agit d’un contexte ludique, c’est peut-être plus favorable pour découvrir de telles petites lacunes. En même temps, le jeu qui fera aussi une part importante au fantastique pourra bien souligner ce qui n’est que du domaine de la fiction, par rapport à ce qui est du domaine des choses possibles.
    C’est en tout cas ce que nous croyons. Pour l’instant, cela n’a été ni infirmé, ni confirmé, par les quelques heures d’essais.
  2. Les enfants non-voyants n’ont pas forcément facilement accès aux univers de fictions dont les autres enfants parlent. Ils auront donc peut-être une envie pour tel ou tel univers, parce qu’ils sont curieux « d’apprendre » : pour s’intégrer plus agréablement aux autres enfants.
    C’est en tout cas ce que nous croyons. Pour l’instant, cela n’a été ni infirmé, ni confirmé, par les quelques heures d’essais.

En pratique, cela pousse vers 2 directions possibles de jeu, 2 directions peut-être opposées

  • Commencer le jeu avec des éléments de la réalité, puis y faire intervenir de plus en plus de fantastique (c’est plutôt le synoptique de la séance d’octobre 2009).
  • Jouer directement dans un univers bien précis, à la mode chez les enfants.

Références

Des différences possibles de références culturelles, en matière de fiction
Des enfants non-voyants le sont très probablement de naissance. Donc, ils n’ont souvent aucun intérêt pour la télévision, le cinéma, les jeux-vidéos, les BD. Quel intérêt pour eux d’être devant la télé et qu’un voyant leur commente ce qui se passe ? Ils n’ont donc pas forcément les mêmes références culturelles dans le domaine des fictions que les voyants. Ça ne va peut-être pas faire mouche de leur dire, « bah tu es un Ninja comme Naruto, de quel village veux-tu être ? ». Par contre, leurs parents leur ont forcément raconté des histoires, leur ont forcément lu des BD, des livres pour enfants, puis ils ont probablement lu eux-mêmes des livres (en braille, en cassette, en fichier informatique, avec une personne leur lisant…). Ils ont donc bel et bien des références sur lesquelles s’appuyer : mais lesquelles précisément ? Ils ont sans doute entendu parler de Robin des Bois, des chevaliers (de la table ronde), des magiciens, des dragons…
Donc, pour leur présenter l’univers et les prétirés, ça va peut-être être un peu plus long (à cause d’une différence de culture) qu’avec les enfants voyants.
À l’inverse, le fait qu’ils ne connaissent pas la fiction précise sur laquelle le jeu est basé peut les rendre gloutons d’informations, pour ainsi mieux connaître les dessins animés (etc.) dont parlent les autres enfants.

C’est un aspect qu’il faut avoir en tête en se lançant à masteriser avec des enfants non-voyants. Mais pour l’instant, cela n’a pas posé de problème.

Vision propre

Des difficultés pour savoir sur quels éléments de la réalité s’appuyer ou pas
La vue est un sens qui permet en fait de récolter un peu d’information sur tout un tas de choses, notamment via la télévision. Ainsi, si un enfant citadin lambda n’a jamais vu de ses yeux, ni touché, une vache, et même s’il ne fait en réalité aucun rapport entre la vache et le lait qui sort des packs, par la télé il aura en fait une bonne petite idée de ce qu’est une vache. De même, s’il n’a jamais approché un cheval, il s’imaginera tout de même facilement galoper comme Zorro pour rattraper la diligence.
Encore une fois, via les questions qu’ils ont déjà posées, les enfants non-voyants peuvent avoir une idée de ces choses, même si forcément ce sera différent de quand on voit. Les enfants auront souvent eu aussi entre les mains des représentations de chevaux (Legos, Playmobils, etc). Et il y a leurs lectures, leurs discussions, leurs jeux… Et comme je l’ai dit précédemment, ce n’est peut-être pas l’essentiel du jeu, que les joueurs aient une image parfaite des événements décrits (enfin, dans une certaine mesure !).
C’est un aspect qu’il faut avoir en tête en se lançant à masteriser avec des enfants non-voyants. Mais pour l’instant, cela n’a pas posé de problème.
Par contre, cela implique d’autres choses : s’imaginer une moto peut ne pas être un effort d’abstraction différent, pour un enfant non-voyant, que de se figurer un tapis volant. Donc du coup, le tapis volant, classiquement empreint de fantastique ne le sera peut-être pas autant pour l’enfant en question.

Voici la synthèse qu’a faite Freekaos (pseudo d’un des rôlistes volontaires pour la séance d’octobre 2009), je me suis permis de la reformuler en partie :
Pour un enfant citadin de 8 ans, et non-voyant de naissance :

  • la voiture : ce sont des vibrations et la sensation du siège. Peu d’intérêt, car peu d’association avec la beauté de la carrosserie et de la vitesse (cela viendra un peu plus tard).
  • la vache : les citadins dans leur ensemble n’en côtoient jamais, alors pour lui, la sensation principale associée à la vache, c’est plutôt celle liée à un jouet en plastique. Pas très parlant.
    Par conséquent : une vache chapeautée au volant d’une voiture, ce n’est donc pas aussi hilarant qu’on pourrait le croire. Car c’est difficile pour lui de se représenter tout cela, avec en plus le comique de situation. Cette scène pourrait presque relever pour lui de la science-fiction pure ! Comme un jedï combattant avec un sabre laser les monstres des films « Aliens ».
    Peut-être faudrait-il alors commencer le JdR avec par exemple Tata Riddle, qui fait un gros gâteau au chocolat magique, qui va devenir géant, et l’on pourra manger dedans pour faire une maison-brownie !

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