THE Handicap

Un enfant aveugle est d’abord un enfant

Sa place est parmi les autres enfants, en famille, à l’école, dans ses loisirs, dans la vie… Comme tous les enfants, il a envie de jouer, d’apprendre, d’avoir des copains, de grandir. Bien sûr, le fait de ne pas voir crée des besoins particuliers : adapter, compenser, utiliser du matériel spécialisé… Ces besoins sont distincts de ceux des enfants malvoyants, et très différents de ceux d’enfants ayant d’autres handicaps !

Une évidence ?

De moins en moins. Malheureusement la tendance est à la globalisation. Des dispositifs sur mesure se transforment en dispositifs prêt-à-porter, conçus pour le plus grand nombre. Le risque pour les enfants aveugles, parce qu’ils sont très largement minoritaires, est de se voir « plaquer » des solutions inadaptés à leurs besoins. L’évolution du vocabulaire est symptomatique de cette tendance, qui nie les différences (donc les besoins spécifiques) en mélangeant tous les handicaps et à la fois focalise sur La différence en créant artificiellement cette case « handicap » qui segmente et isole.

LE handicap

L’étape suivante est franchie avec le concept fumeux DU handicap, et beaucoup peinent à comprendre qu’entre un handicap visuel et un handicap auditif, moteur, intellectuel, etc…, il n’y a aucun rapport !

Semaine de la différence, formation AU handicap, forum DU handicap, mois extra-ordinaire, reportages sur ces personnages « qui dépassent leurs limites », avec un sens en moins, un membre en moins, une fonction en moins… autant d’actions qui visent à sensibiliser pour mieux intégrer.
Mais aussi autant d’actions qui, aussi, à force d’associer systématiquement des handicaps pourtant très différents, ancrent dans les esprits l’idée que les « handicapés » forment une grande famille, homogène, avec des besoins similaires.
La tendance est à la globalisation, ce qui au quotidien ne nous facilite pas les choses.

Quel parent d’enfant aveugle n’a pas déjà entendu :

  • au centre aéré : « on sait faire, on a déjà eu un enfant autiste ! »
  • à la réunion parents-profs : « déjà qu’on nous en demande beaucoup avec les « dys »… »
  • chez des amis : « il faudra absolument que je te présente ma copine truc, elle a un fils en fauteuil… »
  • un peu partout : « le braille ? ah oui ! nous à l’école on a appris un peu la langue des signes ! »
  • etc…

Histoire d’un grand sac

Madame B. est en congé maternité.

Enfin le temps de s’occuper d’elle, de se faire belle pour son mari ! Alors elle prend rendez-vous chez son coiffeur.
Son coiffeur à lui.
Excellent coiffeur pour hommes, on l’appelle le magicien du rasoir ; ses coupes en brosses sont impeccables et il taille la barbe comme personne !
Et les femmes ? Bah, il n’en a jamais coiffées mais bon, il a quand même 25 ans de métier et puis… des cheveux c’est des cheveux !

Ensuite, en route pour les courses.

Elle doit faire bien attention à ce qu’elle mange, pour la santé de son futur bébé, surtout que son podologue lui a récemment diagnostiqué une allergie au gluten. Mais au supermarché, il faut se rendre à l’évidence : pas de rayon « sans gluten ». Zut.
Ah ! Un rayon halal ! Sauvée !
Comment ? Ça n’a rien à voir ? Pff ! Mais un régime c’est un régime !

Elle se dépêche de rentrer parce que sa voiture est en panne

Déjà depuis une semaine le moteur faisait des bruits inquiétants. Le réparateur va arriver d’une minute à l’autre. Un informaticien hors pair : c’est grâce à lui qu’elle a récupéré toutes ses photos de mariage sur son disque dur alors que son ordi était censé être bon pour la casse, données irrécupérables.
OK, il n’a aucune formation en mécanique automobile mais on va pas chipoter… une machine c’est une machine !
Tiens, elle en profitera pour lui montrer cette fuite, sous la baignoire.

Pour son bébé à naître, pas de problème !

Sa voisine connait un excellent accoucheur. La preuve : quand celle-ci a dû faire face à une naissance très difficile, ce super spécialiste n’a pas hésité à se déplacer à 3 heures du matin pour gérer la naissance de main de maître.
D’accord, c’était un vêlage mais c’est du pareil au même. Un bébé, c’est un bébé !

Elle prend rapidement le temps de passer payer le prof particulier

Il s’occupe du soutien scolaire de son aîné, en maths. Super sympa, ce prof. Et brillant. Agrégé d’anglais, excusez-moi du peu !
Pour lui, c’est l’occasion de découvrir les maths, il n’y connait rien mais ça l’intéresse beaucoup.
Après, anglais ou maths… ça reste une matière scolaire, hein.
Du moment qu’il est bon pédagogue. Et la pédagogie, madame, B., elle sait juger. Disons qu’elle est un peu de la partie comme on dit…

Amis des sigles, bonjour…

Madame B. est AESH (Accompagnant des Élèves en Situation de Handicap, ex-AVS=Auxiliaire de Vie Scolaire).
Dans quelques mois elle reprendra son travail, auprès d’un élève handicapé. Veiller à ce qu’il ne lise et écrive qu’à petites doses car pour lui c’est un gros effort… lire et relire lentement les textes à voix haute, écrire sous sa dictée, lui demander de finir au crayon si nécessaire, surligner en jaune les éléments importants… répéter, reformuler, en articulant lentement… faire beaucoup de schémas parce que, pour lui, le texte est beaucoup plus difficile à comprendre que les dessins… lui rappeler sans cesse où il est, quelle heure il est… Ah ça, le Handicap, elle connait ! 3 ans à s’occuper d’élèves dyslexiques, elle est pro de chez pro. Excellente aux dires de tous.
De presque tous… elle réentend les esprits grincheux se plaindre : “mais un enfant aveugle n’a pas les mêmes besoins qu’un enfant dyslexique ! Vous ne l’aidez pas, là. Au contraire !”… Ah là là, quels casse-pieds ceux-là… et puis d’abord de quoi je me mêle ? Des parents, c’est des parents ! Qu’ils restent à leur place.
L’important, c’est ce qu’en pensent les vrais pros DU Handicap : ERSEH (Enseignant Référent pour la Scolarisation des Élèves Handicapés), formateurs (60 heures de formation, dont 2h sur la malvoyance et rien sur la cécité), MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées)…
Et là, tout le monde est bien d’accord : un élève handicapé, c’est un élève handicapé ! (Ne pas croire que « une AVS, c’est une AVS ». Heureusement, il y en a aussi de formidables !)

Grand sac handicap

Et hop ! Tous dans le même sac !

V.I.P.

Je paie l’addition. Avant de partir, j’accompagne mon fils, aveugle, jusqu’aux toilettes.
Il va poser le pied sur la première marche de l’escalier quand… :

interdit.jpg

« Non, non ! Pas par là ! »

Nous stoppons net, figés par l’urgence de l’injonction.
À qui est cette voix impérieuse derrière nous ?

  • au vigile en uniforme, qui va emmener fermement mon fils vers son bureau pour le fouiller, qu’il rende les couverts qu’il a volés ?
  • à l’ouvrier en salopette, confus mais soulagé : l’échelle qu’il a laissée en plein milieu de l’escalier ne causera la mort de personne ?
  • au cuisinier avec toque, qui veut nous empêcher de passer devant les fourneaux où grouillent des cafards ?

Non. Au patron du restaurant.
Encore essoufflé, il affiche la tête hyperfière de celui qui a reconnu un VIP. La serveuse, elle, a droit aux yeux revolvers. Elle va se faire virer, c’est sûr.
Le chef se confond en excuses pour la maladresse de son employée et, d’un geste obséquieux, nous fait signe de le suivre.
« Il y en a d’autres, par là ! »

vip.jpg

Il nous confond avec qui ? Il y a des toilettes de luxe pour les people ? Ou alors il nous emmène chez lui, derrière la salle ? Il habite là ? Il va nous demander un autographe ?
On le suit, on traverse la salle, on prend un couloir.

Brutalement il nous abandonne. Attrape un torchon au passage et s’éponge le front, encore traumatisé d’être passé si près de l’incident diplomatique.
Il est parti chercher quelqu’un ? Je regarde du côté où il a disparu. Je guette. On attend. Personne.
Je détache mes yeux de cet horizon pour observer devant nous : une large porte. On est censés entrer là ?
Je lève les yeux, la réponse est plaquée, comme une évidence :

Pffff !
J’ouvre la porte king size, je m’apprête à la refermer derrière mon fils.
Non.
Je ne peux pas le laisser là.
Pas comme ça. Pas si vite.

D’abord, une visite s’impose.

Habituellement il lui faut minimum 3 cours de locomotion pour se faire une représentation mentale d’une telle surface mais on a pas 3 heures devant nous, on va se la faire en accéléré, à la Stéphane Plaza.
« Alors, c’est une sorte de grande pièce rectangulaire, longueur face à nous. Elle est séparée en 3 espaces carrés, avec des demi-murs, pour laisser une sorte de couloir…
(Coquette surface, beaux volumes, Idéal chambre d’étudiant.)… Devant toi c’est la pièce pour se laver les mains, à droite celle des toilettes, et à gauche c’est le séchoir à mains. Si tu ne trouves pas tout de suite continue à avancer, c’est que c’est encore plus loin. Je reste derrière la porte, de temps en temps je tapoterai dessus pour que tu repères la sortie si tu es désorienté. Tu as bien ton portable avec toi ? Tu pourras toujours me passer un coup de fil si tu es perdu. »
Il ferme le verrou, entame son périple.
Bruit de canne, silence, chasse d’eau, canne, eau qui coule, canne, air pulsé, canne, verrou, tout s’est bien déroulé. Il y a maintenant 15 minutes, on était devant la fameuse marche d’escalier…
On sort.

Le patron affiche un air de satisfaction complice

Il a fait sa B.A.
Inutile de lui expliquer, il va se vexer, fustiger ces handicapés-jamais-contents.
Mais je ne vais quand même pas le remercier, faut pas pousser. J’hésite.
Quand on sera sortis il pestera contre ces handicapés-ingrats.
La prochaine fois qu’on ira aux toilettes au restau – par l’escalier, toujours – ce sera avant de quitter la table.
Au cas où on ait droit au digestif gratuit pour rattraper l’impair. Même que cette fois, on remerciera !

Grand sac handicap

Et hop ! Tous dans le même sac !